Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
l'ascétisme monastique au haut Moyen Âge. Pierre-André Bizien
30 juin 2006

II-la clôture

II- La clôture, oscillation spirituo-matérielle d’un principe ambigu

Concrètement, le principe de clôture est plus supposé qu’imposé au haut Moyen Âge. Il apparaît jusqu’à l’époque carolingienne comme une limitation de la mobilité monastique, limitation qui se radicalise en interdiction à partir du IX e siècle. Le principe de la clôture monastique subit donc une évolution progressive qui aboutit à la modification de son sens. De spirituelle du Ve au VIII e siècle, elle devient matérielle à partir de l’emprise politique des Pippinides sur le Regnum Francorum1. Initialement abstraite, elle prend un sens concret à l’opposé de l’évolution de la notion d’ascétisme qui, de concret, littéral et formaliste parfois encore à l’époque mérovingienne, devient abstrait et nettement spirituel dès le VIII e siècle. S’il convient de nuancer ce constat qui n’a de pertinence que dans la tendance qu’il souligne, il est légitime d’émettre une hypothèse: l’affinement spirituel de l’ascétisme gaulois à partir du VIII e siècle ne résulte-t-il pas du sacrifice de la liberté de mouvement des moines? En d’autres termes, la clôture n’incarne-t-elle pas de manière de plus en plus évidente l’ascétisme incarné dans l’espace?

Un certain nombre d’éléments contextuels limitent et tempèrent les affirmations précédemment énoncées. En premier lieu, il convient de rappeler que « l’inventeur » de la clôture matérielle est Césaire d’Arles, dont l’action pastorale et les écrits se situent en pleine période mérovingienne. D’autre part, les récentes fouilles archéologiques menées sur le site du monastère mérovingien de Hamage révèlent l’existence d’une double clôture matérielle ceinturant les bâtiments claustraux (E. Louis, les fouilles de l‘abbaye de Hamage, in Clovis, histoire et mémoire, pp.843-866), ce qui limite le constat de l’absence de clôture spatiale jusqu’au VIII e siècle.

Approche sémantique.

Etymologiquement ambigu, le sens de la notion de clôture1 recouvre plusieurs acceptions dont le seul lien se situe dans l’idée de restriction et de séparation. Les interprétation qui en sont faites au sein des traditions monastiques oscillent donc entre l’abstrait et le concret, le spirituel et le matériel en raison de la carence initiale de précision du terme2. Les premières législations cénobitiques orientales3 ne conçoivent pas de séparation radicale entre les moines et les femmes, principe qui semble avoir survécu en Gaule à l’époque mérovingienne. Ils ne préconisent à leur égard que le principe de discrétion4 . Il s’agit de limiter les contacts avec le monde, ou, selon une interprétation plus restrictive, de limiter les contacts avec l’autre sexe5.

On distingue différents types de clôture:

-la clôture active, qui empêche le moine de sortir.

-la clôture passive, qui empêche au « laïc » d’entrer6.

Mais aussi:

-la clôture matérielle7 , elle prend son essor dès la fin du VIII e siècle sous la dynastie carolingienne8.

-la clôture spirituelle.

-la clôture naturelle9 .

Césaire d’Arles, inventeur de la clôture matérielle.

Si le caractère matériel de la clôture monastique devance Césaire, celui-ci est le premier à en faire le pivot majeur de sa règle en faisant de la claustration la base ascétique préalable à tous les autres exercices spirituels qu’il exige de ses moniales.

Évêque d’Arles dès 503, il rédige une règle des vierges sur une période d’une vingtaine d’années (512-534). En 515, il obtient du pape Hormisdas une garantie canonique pour sa fondation. Concernant la clôture, la règle est péremptoire: une fois entrée dans l’enceinte du monastère, la moniale ne peut plus en sortir. Césaire accumule sur ce point les mises en garde. L’axe de la règle se focalise sur la chasteté des moniales. Elle constitue la première vertu ascétique de la législation.

Césaire d’Arles est le premier à réellement distinguer les moniales en tant que sexe. Contrairement à certaines thèses affirmant que le cénobitisme ne distingue pas les moines en tant que sexe1, Césaire établit clairement la différence: « Dans les monastères féminins, de nombreux usages apparaissent différents de ceux des moines »2. Cependant, effectivement, si ce les moniales sont chez lui plus spécifiquement concernées par la clôture et la claustration que les hommes, la notion de stabilitas s’applique théoriquement néanmoins à tout le cénobitisme gaulois sans distinction de sexe. A partir de l’époque carolingienne, la matérialisation de la clôture et le durcissement de l’interdiction de sortir de l’enceinte étend cette préoccupation césairienne au cénobitisme gaulois dans son ensemble.

Contrairement au postulat selon lequel le monachisme véhicule une idéologie ségrégative vis-à-vis des moniales3, la réalité semble plus nuancée. La volonté d’accentuer la réclusion pour les femmes émane de raisons pragmatiques, comme la volonté de lutter contre les rapts4 et le spectacle attirant de grosses concentrations de femmes.

Une clôture originale: le cas de Hamage.

La carence quasi complète de vestiges monastiques avant le IX e siècle en Gaule réduit l’utilité potentielle des travaux archéologiques pour la recherche historique corrélative au cénobitisme du haut Moyen Âge. D’autre part, lorsqu’un site monastique est découvert, les fouilles se concentrent généralement sur l’église tout en délaissant le périmètre alentour. Il faut ajouter à ces entraves l’habituelle destruction des sites originels causée par le cumul des constructions et réaménagements architecturaux postérieurs. A ce titre, le cas du monastère armoricain de Landévennec est emblématique1. Cependant, certains sites, pour diverses raisons, échappent à ce constat. C’est le cas du monastère de Hamage, dont les vestiges ont fait l’objet de récentes fouilles2 . Situé en Gaule septentrionale à mi-chemin entre Douai et Valenciennes3, il voisine la bordure de la rive droite de la Scarpe4 . Le site, très plat, s’élève à une hauteur de quinze mètres d’altitude. Faut-il y déceler la volonté spirituelle de fonder un monastère en hauteur afin d’induire symboliquement une vocation céleste? Cette éventualité demeure hypothétique. Très marécageux5, le site reste encore très humide et la remontée hivernale de la nappe phréatique interdit les fouilles six mois par an6.

Les données historiques relatives au monastère sont rares et relativement tardives. Elles sont essentiellement tirées d’un diplôme de Charles le Chauve7 et de la Vita Rictrudis8. Vers 625-639 Gertrude, jeune veuve aristocrate d’Artois, fonde sur ses biens un monastère féminin à Hamage autour d’une église Saint-Pierre sur les conseils de saint Amand. Peu après, celui-ci fonde à Marchiennes9 un monastère d’hommes à l’aide d’autres biens issus du même patrimoine familial. « Vers 636-639, après la mort de son mari Adalbad, petit fils de Gertrude, Rictrude prend le voile et se retire avec ses quatre enfants à Marchiennes qui devient progressivement un monastère double »10 On déduit clairement de ces épisodes la stratégie familiale de contrôle de ces fondations.

Les fouilles11ont mis au jour, parmi d’autres débris, des fragments de gobelets ayant appartenu aux moniales1. Quatre d’entre eux portent un graffito tracé à la pointe sèche. On peut ainsi lire sur l’un des fragments un anthroponyme féminin d’origine germanique: Aughilde2 . D’autre part, on peut aussi lire une inscription à boire: Mitte plino (remplis à ras bord!)3. Ce détail prend ici une très grande importance. En effet, l’atmosphère existentielle volontiers hédoniste qu’il laisse suggérer paraît entièrement paradoxale à l’esprit ascétique sensé caractériser le quotidien du monastère. Sans céder au principe d’une déduction pavlovienne, nous pouvons en nous appuyant sur ce fragment de gobelet, émettre un doute sur l’uniformité du climat ascétique austère au sein des monastères gaulois. Cet indice renforce le constat de la grande diversité d’application des normes ascétiques à l’époque mérovingienne.

Hamage semble avoir été un monastère de dimensions réduites4 .

Les fouilles ont permis de retrouver les restes d’une clôture matérielle, mais qui n’enserrait que les bâtiments réguliers5 . En ce qui concerne les bâtiments de type fonctionnel6 , ceux-ci ont été localisés en périphérie du site7. Eux aussi se trouvent enserrés au sein d’une clôture matérielle8. Le monastère de Hamage, contrairement à la plupart des établissements cénobitiques gaulois édifiés à l’époque mérovingienne, se trouve ceinturé par deux clôtures de type matériel. Parmi les vestiges enfouis dans le sol ou retrouvés dans les fossés figurent de nombreux débris de bois9. Un grand bâtiment de bois construit dès la seconde moitié du VII e siècle reposait sur des poutres horizontales de 15 à 20cm de section, reposant à même le sol. De nombreux poteaux de bois entaillent le sol au niveau du tracé des parois de l’édifice10. Ils semblent correspondre à des poteaux porteurs ou à des renforts ponctuels, ce qui induit le caractère relativement fragile des cloisons du bâtiment. L’espace intérieur du monastère comporte une surface centrale longue de huit mètres au côté de laquelle s’étendent une dizaine de cellules très exiguës11. Des latrines jouxtent la paroi sud du bâtiment1. Ces divers indices suggèrent le caractère résidentiel du bâtiment2. Parmi les activités manuelles des moniales qui y vivent, nous pouvons évoquer le tissage et le filage si l’on s’appuie sur les broches de tisserands, les aiguilles et les agrafes de vêtements retrouvées sous le sol3.

Les fouilles révèlent donc que le site de Hamage constitue une modeste fondation féminine privée, au regard de l’exiguïté des lieux et de la qualité très sommaire des murs de bois. On peut être surpris par l’existence d’une double clôture matérielle, qui annonce les temps carolingiens. En ce qui concerne le matériau de construction, essentiellement le bois, le monastère s’insère dans la norme des édifices de l’époque. Le renseignement le plus substantiel réside dans la découverte du gobelet sur lequel est gravée l’inscription mitte plino. En effet, une telle formule ne correspond pas à l’atmosphère ascétique austère qui devrait caractériser un monastère de moniales. L’explication à cet intriguant paradoxe réside peut-être dans la chronologie: au VI e siècle, le monachisme gaulois n’est pas encore unifié sous la norme bénédictine4, et reste très divers dans ses manifestations.

Circuits monastiques.

Les moines gaulois circulent au travers de circuits monastiques et le cénobitisme n’est pas, loin s’en faut, synonyme de stabilité, du moins en période mérovingienne. Ainsi, les moines aquitains se déplacent fréquemment en direction des monastères septentrionaux du regnum francorum. Par exemple, Hildemarque, moniale aquitaine, est appelée pour diriger le monastère de Fécamp5. 6 Originaire d’Aquitaine, saint Amand pratique la peregrinatio pour évangéliser les populations païennes7. C’est la Gaule du Nord qu’il choisit pour prêcher8.

Même les moniales circulent:

Avant d’adopter la règle de Césaire dans son monastère sainte Croix de Poitiers, Radegonde entreprend vers 570 un voyage à Arles en compagnie de l’abbesse Agnès pour mieux connaître cette règle.

De même, Jean de Réomé traverse la Gaule afin effectuer un « stage » de 18 mois au monastère de Lérins pour en étudier la discipline.

Au VIIe siècle encore, les pérégrinations de moines à la recherche de règles et de préceptes normatifs nouveaux subsistent. Philibert, formé au monastère de Rebais, entreprend un long périple en Gaule et en Italie pour étudier comparativement les règles monastiques avant de fonder Jumièges en 654 ou il finit par placer le monastère sous la règle de Colomban1.

Les règles circulent donc avec les moines, corrélativement au processus d’évangélisation qui s’opère par la peregrinatio2.

D’ailleurs les règles semblent reconnaître implicitement ce principe: la règle bénédictine accorde une tolérance de trois sorties du monastère avant que le moine en soit exclu3.

Ainsi, les changements de monastère sont courants et s’opèrent facilement malgré les interdictions. Il suffit d’examiner la vie de quelques saints célèbres pour se rendre compte qu’ils ne cessent de passer d’un monastère à l’autre. On peut évoquer le cas de Saint Avit qui s’enfuit du monastère de Menat avec Saint Calais à l’insu de leur abbé pour se rendre au monastère de Micy près d’Orléans. Puis il le quitte pour en fonder un nouveau dans le Perche. Saint Lubin le rejoint après avoir quitté son propre monastère.

Autre exemple de circulation en dehors du monastère4, celui des moines de Fontenelle. L’abbaye, que Wandrille dirige jusqu’à sa mort en 668, est située au cœur d’une région marécageuse sur les rives de la basse Seine. Les moines sont astreints aux travaux de défrichage et d’assèchement des marécages5.

La clôture féminine, un enjeu qui transcende l’espace monastique.

L’état de moniale ne diffère pas diamétralement du type de vie d’une partie de la population féminine. En effet, nombre de vierges ou d’autres femmes vivent chez elles dans le siècle une vie de réclusion faite de prière, de jeûnes et de contemplation. C’est par exemple le cas d’Aldegonde, avant son entrée au monastère1. La clôture féminine n’est donc pas exclusivement un enjeu monastique.

La vie ascétique des moniales est un prolongement de la vie des femmes vouées à Dieu qui demeurent dans le siècle, cloîtrées non pas dans un monastère mais chez elles. Elles y pratiquent une vie ascétique avant tout contemplative et difficilement détaillable. Cependant, certaines hagiographies, comme la vita Aldegundis, en fournissent une idée substantielle: « Un jour comme elle2 était dans le secret de la chambre de sa maison et qu’elle priait toutes portes fermées »3.

Ainsi, l’idéal monastique féminin ne s’applique pas que dans le monastère. Il concerne les femmes avant même leur réclusion. Fortunat écrit au sujet de Radegonde avant même qu’elle soit moniale: « On disait d’elle au roi qu’il avait pour épouse une moniale plutôt qu’une reine »4.

-Le cas critique des veuves:

Le statut social critique des veuves implique la nécessité de nouvelles protections que certaines trouvent au sein des monastères5. Placées en dessous des vierges dans la hiérarchie des états féminins en Gaule mérovingienne comme en Gaule carolingienne, elles doivent élaborer de nouvelles stratégies de protection de statut, dont la profession de viduité1 semble être la plus emblématique. Celle-ci implique de vouer son veuvage à Dieu et officialise le changement de vie de la veuve. Cette stratégie de protection sociale ouvre sur deux possibilités:

-La vie cénobitique.

-la vie consacrée chez soi.

Ce deuxième choix stratégique semble régulièrement se heurter au soupçon social. La législation conciliaire interdit progressivement aux veuves vouées à Dieu de continuer à vivre chez elles et leur impose la réclusion au sein des monastères, qui devient obligatoire à l’époque carolingienne. Ce durcissement est très net à partir du IX e siècle. En cas de choix de vie cénobitique, qui mute en imposition, la conversion religieuse se traduit par un changement de vêtement, et dès lors l’engagement ne peut se dénouer qu’à la mort, conformément à la suite des conciles qui rappellent que les veuves qui ont fait profession de vie religieuse et de pénitence ne peuvent annuler leur engagement. Le capitulaire de Clotaire II (614) donne déjà force de loi à cette mesure et sanctionne les contrevenantes à l’exil et à la perte de leurs biens. Le concile de Losne (673-675) instaure la mesure selon laquelle les veuves peu soucieuses de chasteté doivent être cloîtrées de force au sein d’un monastère.

Si donc, comme nous venons de voir, le début de l’époque mérovingienne laisse encore aux veuves des choix stratégiques ouverts en matière de protection sociale malgré le durcissement des conciles, il semble que dès le VII e siècle cette relative liberté s’amoindrisse et que, par ce biais, la proportion des vocations monastiques féminines par choix s’amoindrisse. La veuve gauloise s’inspire des nombreux modèles bibliques voués à l’imitation: Anne, Sarepta, Noémi, Ruth, Judith ou Déborah. D’autre part les Vitae fournissent nombre de modèles édifiants de veuves vouées à Dieu comme Clothilde, veuve de Clovis. Dans la plupart de ces Vitae les techniques d’ascèse des veuves sont stéréotypées2 et sont régulièrement lus aux moniales afin de favoriser le phénomène de mimétisme. 

Le cas des monastères doubles.

Certains monastères sont doubles. Ils comprennent à la fois hommes et femmes, strictement séparés par une clôture matérielle. La plupart de ces monastères, qu’il serait inapproprié d’appeler mixtes1 sont dirigés par une abbesse, et plus généralement par la communauté féminine. Cependant, les hommes ont parfois leur propre abbé, qui exerce l’autorité à l’intérieur de l’enceinte masculine2. Ces monastères doubles apparaissent dès le VIe siècle.

Au VIIe siècle, Waudru et Aldegonde, deux sœurs issues de l’aristocratie neustrienne, fondent chacune dans la province du Hainaut un monastère double. La sœur aînée, Waudru, fonde le monastère de Mons entre 655 et 6603.

Aldegonde, la sœur cadette, fonde le monastère de Maubeuge quelques années plus tard, entre 660 et 665. Ici encore, la communauté est double et les hommes y tiennent une place secondaire. Leur rôle consiste à assurer le service liturgique de la communauté et à effectuer une large part du travail manuel nécessaire à l’entretien du monastère4, certaines moniales étant astreintes aux taches ménagères subsidiaires.

Nous pouvons donc affirmer que de telles institutions, si contradictoires avec la notion radicale de clôture qui commence à se répandre dès Césaire d’Arles, ne doivent leur existence qu’à la stricte séparation des tâches et des attributions de chaque sexe. Contrairement au postulat selon lequel le cénobitisme mérovingien ignore encore la distinction des sexes, les femmes et les hommes étant astreints aux mêmes types de travaux ascétiques5, il semble donc au contraire que cette distinction soit bien prégnante dès l’époque mérovingienne.

D’autres monastères connaissent ce type de fonctionnement spécifique, comme sainte Marie de Laon, Nivelles ou Chelles. Ces trois dernières fondations sont exclusivement établies par des moniales puisant sur leurs biens propres, et aucun abbé n’est ici subordonné à l’autorité de l’abbesse.

Dans tous ces monastères, les moines sont au service des moniales pour la liturgie, les travaux pénibles et les tâches administratives. Ce cas de subordination masculine invalide partiellement, ou du moins relativise le stéréotype sociologique bourdivin présentant la domination masculine comme phénomène anthropologique générique et structurel aux sociétés d’honneur1.

Ce type d’institution disparaît au 9e siècle, lorsque les moines sont remplacés dans ces fonctions par des chanoines.

Proche du concept de monastère double, il se peut que deux établissements soient fondés presque simultanément et à peu de distance l’un de l’autre pour accueillir l’un des hommes et l’autre des femmes. C’est le cas de Logium, monastère féminin, fondé dans la foulée de l’abbaye de Fontenelle, monastère masculin. Dans ce cas, les deux communautés sont distinctes juridiquement et il s‘agit de monastères autonomes2.

-Structure des bâtiments monastiques.

Bâtis majoritairement en bois jusqu’au VII e siècle3, les monastères mérovingiens comprennent au minimum une abbatiale et une église funéraire.

Leurs dimensions souvent étroites jusqu’au VIIIe siècle sont rarement définitives. Les extensions progressives au fil des siècles restructurent l’espace4 continuellement. Dès lors, le principe d’une enceinte semble problématique.

De nombreux monastères sont dotés de plusieurs lieux de culte attestant l‘importance ascétique des activités de prière. Ainsi, l’abbaye féminine de Montivilliers, dans le diocèse de Rouen, possède quatre églises. Le monastère de Pavilly en compte cinq, réparties autour des bâtiments conventuels. Malgré ces caractères spécifiques, à l’époque mérovingienne, une importante confusion demeure entre monastères féminins, maisons de veuves ou de vierges, ce qui induit le caractère relativement anarchique du bâti comme l’improbabilité fréquente d’une clôture matérielle.

Il faut attendre la fin de l’époque carolingienne pour que la structure des bâtiments monastiques suivent un canon de construction stable, incarné par le plan du monastère de saint Gall et la naissance du cloître.

La clôture naturelle.

Fréquemment, les monastères gaulois utilisent la nature en guise de clôture. Dès lors, la question de la construction d’une enceinte matérielle ne se pose pas. Ce type original de clôture permet la circulation monastique de par son caractère poreux.

La règle de Tarnant laisse sous-entendre l’existence d’une clôture naturelle constituée par le cours d’eau qui borde le monastère. Ainsi, « On ne se permettra pas de prendre une barque pour passer sur l’autre rive sans ordre de l’ancien.»1 Si clôture matérielle il y a, c’est ici sous forme d’un cours d’eau. Cet exemple, s’il n’est pas systématisable à tous les monastères mérovingiens, illustre pour un grand nombre d’entre eux le concept de clôture matérielle: c’est avant tout une barrière naturelle, donc perméable.

De plus, la sentence « Personne ne se permettra de manger ni de boire hors du monastère »2 induit des activités relativement régulières à l’extérieur du monastère.

De même, il n’y a ici pas d’interdiction: « Lorsque vous êtes à l’extérieur, puisque cela ne vous est pas interdit… »3

Tous les monastères situés dans la région du Hainaut sont fondés à proximité de forêts qui forment des limites naturelles commodes et tiennent lieu de clôture naturelle.

On peut aussi citer le cas de l’île de Lérins qui utilise la mer en guise de barrière naturelle 4, c’est aussi le cas de l’île de Friard.

Les emplacements géographiques sur lesquels sont fondés les monastères se prêtent parfois à des préoccupations ascétiques. Ainsi, le monastère de Fontenelle, à proximité de la basse Seine, est établi dans une zone marécageuse que les moines défrichent et assèchent quotidiennement. Les massifs forestiers leur garantissent une clôture naturelle. Ici, la tonalité ascétique est donc plus manuelle qu’intellectuelle et spirituelle, particularité qui ne se rencontre plus qu’ambrionairement à l’époque carolingienne. Souvent, le lieu d’implantation revêt certaines particularités géographiques faisant référence à des thèmes bibliques: un site surélevé peut représenter un rapprochement vers Dieu, les défrichements de forêts comme à Fontenelle peuvent évoquer l’extirpation du mal et des ténèbres, l’existence de ruines 1 symbolise la fragilité du monde séculier. Mais les vicissitudes temporelles influencent, malgré le principe idéal de la clôture, le quotidien monastique. Ainsi, des cas de déménagements de monastères et d’abandon du site primitif pour un nouvel emplacement évoquent implicitement les impacts exogènes que font peser les événements politiques conjoncturels2 . On peut citer de multiples cas de déménagements de sites , comme ceux de Mons, Maubeuge, Crespin ou Maroilles.

L’idéal de la clôture monastique présuppose une autarcie rigoureuse, qui reste tout au long du haut Moyen Âge relativement utopique. Cependant, certains signes matériels attestés par l’archéologie ou les sources hagiographiques témoignent de cette volonté d’autarcie. Ainsi, les monastères mérovingiens comportent fréquemment un puits, comme l’atteste l’examen de certaines vitae. La vita Radegundi nous informe que la moniale Radegonde « tirait l’eau du puits et la distribuait dans des récipients »3.

Au final, même les législations qui décrivent pourtant des pratiques idéales semblent reconnaître implicitement le déplacement des moines. Leur seule véritable moyen de contrôle réside dans la limitation de ces sorties et dans la distinction de sorties légales et de sorties illégales. Ainsi, les sorties sont avant tout soumises à l’autorité de l’abbé:

« un frère qui est envoyé pour une commission quelconque »4.

Si cette autorisation est contournée, les normes se radicalisent à cause de la transgression du principe d’autorité de l’abbé, principe exigé jusqu’à la papauté5. Ainsi Grégoire le Grand évoque l’anecdote selon laquelle un moine qui, sorti du monastère afin de rejoindre ses parents, avait été foudroyé par la mort faute d’en avoir demandé la permission auprès de son abbé6.

Généralement, la condition de sortie est l’accompagnement des moines entre eux.

Ainsi la norme mérovingienne semble être proche de ce que préconise Macaire: « Si, pour les besoins du monastère, des frères doivent sortir par deux ou trois… »1. Seule la législation pénitentielle semble être claire et distincte concernant ce problème.

Les manquements à la clôture sont réprimés, spécialement s’ils occasionnent des contacts avec les femmes2 .

Toute la gamme d’interdictions et d’entraves à la circulation des moines a donc une consistance normative fluctuante. ces entraves peuvent résulter de préoccupations coutumières pragmatiques, d’interdictions plus ou moins laxistes ou de défense stricte et péremptoire, comme au sein du monastère féminin de Saint Jean d’Arles fondé par Césaire.

Pour finir, les nombreux liens économiques qui unissent les monastères à la société et qui induisent donc une certaine ouverture, contredisent le principe de la clôture monastique. L’abbé n’est pas exclusivement occupé par la direction spirituelle de sa communauté. Il est lié au siècle par ses liens amicaux, les réseaux économiques du monastère, ou même par ses devoirs militaires, qui relativisent l’idéal d’une clôture étanche et d‘une autarcie radicale. Ainsi peut-on évoquer, de manière emblématique, la convocation à l’ost de l’abbé de Saint-Quentin au début du VIIIe siècle (804-807)3.

Publicité
Publicité
Commentaires
l'ascétisme monastique au haut Moyen Âge. Pierre-André Bizien
Publicité
Publicité